Being in Cochon Ville

« Nu(e) tu es né(e), nu(e) tu viendras tourner dans le prochain clip de Sébastien Tellier. »

C’est par ces quelques mots que le casting de la vidéo de Cochon Ville, nouveau single du grand Sébastien Tellier, fut lancé.

Je n’ai guère réfléchi avant d’envoyer mes coordonnées et photos à Helmi, le chargé de casting. Fan de la première heure où quasi, je garde un souvenir ému d’un concert accoustique de Tellier au Baron. Ca remonte à quelques années déjà – la sortie de Sexuality, superbe album. Et comme beaucoup, j’attends à présent impatiemment de découvrir My God Is Blue, le nouvel opus du maître. Livraison prévue le 23 avril. Le tournage de Cochon Ville ? Un peu, que je veux en être !

Ma jeune sœur est tentée aussi. Je l’aide à choisir quelques clichés à envoyer. Et c’est un garçon aussi chaleureux qu’enthousiaste – Helmi, donc – qui nous confirme quelques jours plus tard que nous faisons parties des heureuses et heureux élu(e)s. Joie ! « Tu sais qu’il y aura des scènes nues ? » me demande-t-il, histoire de scrupuleusement filtrer les pudibonds. « Uhm, mouiiiii… » J’avoue : « non, ça ne me dérange pas ». Pas du tout.

« Qui réalise ? » Je pose la question. « Alex Courtés ! ». Quoi ? J’ai dû mal comprendre. Ca doit être un homonyme. Pas « le » Alex Courtés qui vient de réaliser la bombe On’N’On pour Justice quand même ? Bha, si. Wow !

Le samedi 7 avril au matin, j’arrive trépidante comme une puce au studio des Lilas, ma p’tite sœur au bras, en même temps qu’une nuée de jeunes gens souriants et lookés. Ca sent le hipster parisien décontracté du gland, amateur d’électro et prêt à tomber la veste par amour de la vibe. Tant mieux, c’est justement le programme. L’ambiance est cool mais virevoltante : stylisme, make up, coiffure, on est une bonne cinquantaine à devoir se préparer pour un PAT (Prêt à Tourner) à 12h. Lequel évidemment ne sera jamais respecté.

L’idée, un look 70’s soft, et de la lingerie d’époque : jarretelles, bas en soie, dentelles – on n’est pas là pour tourner « Des Hommes et des Dieux 2 ». Point de robe de bure. On oublie voile et burqa.

Courtés arrive, en jean, chemise ouverte sur tee-shirt bouchonné, regard perçant, cheveux en vrac. Totale classe. Il inspecte ses troupes, demande à raccourcir quelques robes, moderniser quelques silhouettes. Oui, il veut restituer l’esprit seventies, mais sans pour autant réduire le concept à des maxi jupes informes. Ok, on a compris : Sexy, baby !

Il est déjà tard et tout le monde a l’estomac dans les talons. Pendant que les comédiens chipotent leurs poulets-légumes-tartes-au-citron – le stress coupe la faim, la perspective d’être bientôt dans le plus simple appareil aussi -, Sébastien passe, veste XXL, GSM collé à l’oreille, maxi lunettes bleues, cheveux en vrac. Totale classe.

A côté de moi, une fille trie soigneusement deux mini bouts de thon perdus dans son assiette. Plus tard, elle refusera une fraise Tagada, expliquant que « ça donne de la cellulite ». On se moque gentiment. Ah, le culte de la minceur. Passons ! Le casting compte un peu de tout, des jeunes, des moins jeunes, des enrobés et des p’tits lots. Néanmoins la jeunesse et la finesse dominent l’assemblée. Est-ce si étonnant, dans notre société culpabilisante de la ride et du bourrelet, que les plus ronds ou plus âgés n’aient pas postulé ?

Il est déjà plus de 14 heures, l’effet des verres de vin avalés au déjeuner commence à se dissiper. Dommage, c’est le moment d’entrer sur le plateau. Allez ! Immense, la zone de tournage est un cercle, cerné de rails sur lesquels la caméra, le réal et le chef op sont installés.

Au centre trônent les instruments des musiciens de Tellier, qui arrivent chapeautés de grands cônes noirs. Style Ku Klux Klan. Intrusion du second degré. On nous annonce aussi des animaux. On va se marrer.

Déjà ça vanne dans les rangs, on rit un peu, pour faire connaissance, pour décompresser, et puis pour tromper l’attente, qui se fait longue. La technique se met en place. Mark, 1er assistant réal., nous installe dans le cercle. On va bientôt danser. Les places dépendent des actions qui nous été assignées : baisers, léchages, bondages, suçages… Le programme est salé. Mark court à droite, à gauche, glisse une consigne, rassure un inquiet, inspecte les derniers détails.

Sébastien arrive, à présent vêtu d’une longue et solennelle robe bleue – il est bien le maître de notre cérémonie. Comme si quiconque en doutait ici. Il croise mon regard, me fait un petit signe : « Salut ! ». Voix suave. C’est ainsi qu’il dit bonjour alentour, avec une simplicité désarmante. Il dégage une aura de douceur incroyable, une folie soft, tendre et pleine de charme. A l’instar de sa musique.

Mark hausse le ton, s’adressant à tous dans un ordre collectif et délicieux : « On va lancer la musique. Faites la fête ! Dansez ! ». Le titre démarre. Et l’incroyable se produit. Sébastien commence à toucher sa guitare, et aussitôt, d’un même mouvement, instantanément, dés la première note, tout le monde, absolument tout le monde se met à onduler gracieusement, sensuellement, lascivement. Perchée sur un podium, j’admire cette foule mouvant avec une élégance infinie, une indiscutable beauté, un érotisme troublant.

La plupart d’entre nous ne nous connaissions pas du tout il y a quelques heures, et soudain, c’est l’osmose. C’est beau. C’est magique. Dés la fin de la première prise, je me sens perler de sueur. Pourtant ce n’est que le début, on va danser ainsi jusqu’à plus de minuit. La grande transe bleue peut commencer.

Les prises s’enchaînent suivant le même modus operandi : La musique démarre, on danse, la caméra avec Laurent le chef op, Alex et Mark tournent tout autour de nous et effectuent un, trois, cinq voire six tours avant la fin du morceau. Petite pause, et on remet ça. On se sourie, on se frôle, on a chaud, très chaud. Je sympathise avec le petit groupe qui m’entoure, tout le monde est détendu, charmant. Celui ci à un sourire à tomber, elle une silhouette divinement callipyge, lui un regard de braise. On baigne dans un halo bleu. On est bien. « Bon, quand est ce qu’on se met tout nu ? », questionne-t-on ici et là avec une impatience faussement ironique. C’est qu’on transpire dur, et qu’on n’est pas chez mémé. Si on est là, c’est qu’on veut en envoyer.

Rapidement, Courtés nous incite à tomber les tops, les jupes, les chemises, les pantalons… Bref, à nous lâcher un peu. ENFIN !

Les danseurs se frottent, arrachent quelques bouts de tissu. Je caresse un couple, ma sœur et un beau brun nous rejoignent, on forme une grappe humaine, ça sent la peau et la sueur, emportée par la boucle lancinante du morceau j’arrache ma robe d’un coup d’un seul. Quand la musique s’arrête je suis presque nue, enlacée, que dis-je, fondue enchaînée avec 4 autres personnes. « Heu, comment vous dire… si vous pouviez y aller un peu plus MOLLO ? » propose Mark. Je regarde autour de moi. Ah, donc, je ne suis pas la seule à avoir été galvanisée par l’atmosphère : la moitié des acteurs est déjà presque à poil. Ambiance, ambiance.

Notre attitude dépasse toutes les espérances du réal, qui se trouve contraint de calmer nos ardeurs. « Vous êtes super, mais allez y doucement, gardez de l’énergie pour plus tard hein ! »

C’est vrai, il n’est pas 17 h et on est déjà à fond. Va falloir gérer la fatigue, à un moment. Une mère de famille vêtue d’une mini robe verte me glisse : « Tu vois, je devais amener mes garçons à la piscine aujourd’hui, et bien je ne regrette pas d’avoir annulé : niveau sport, je suis servie… ». Certes. A Cochon Ville, ça travaille aussi des ischios-jambiers.

Arrive le moment des actions : je suis chargée de sucer un pied. Derrière moi, un type super drôle, chemise hawaïenne, moustache et cheveux longs, fait goûter son calibre à une fille dévotement agenouillée. Devant moi, le couple de tout à l’heure s’allonge sur un matelas. Le pied de Mademoiselle écrase le visage offert d’un fétichiste ravi.

Une performeuse domine de sa poitrine dévoilée un soumis au supplice. Un frêle garçon galoche un cocker. Une blonde sculpturale masse avec ses pieds la poitrine d’une troublante rousse. Laurent, derrière la caméra, entame un travail de virtuose : capter cette osmose, toute cette énergie, filmer Sébastien chantant, la foule dansant, et chaque moment érotique en gros plan, le tout dans un même mouvement. Challenge relevé avec force tours de caméra, Alex Courtés motivant les troupes par des consignes clamées au dessus des vrilles de Cochon Ville : « Vas-y fouette ! Bouffe ! Suce ! Embrasse ! Caresse ! Frappe ! Plus fort ! Ecrase le bien, comme ça, oui ! Super ! Continuez ! Je veux voir des mains !! TOUCHEZ VOUS ! Allez ! »

Deux filles se donnent une fessée magistrale, une banane plane, des sylphides se tartinent de lait, on se baffe, on se renverse, on s’enlace – et de petits slips chairs sont discrètement distribués aux couples en phase de coït.

La caméra tourne, tourne, tourne autour des corps à présent majoritairement dénudés, exaltés. Alex laisse échapper un fou rire, tout le monde sourit, l’air est saturé d’ondes positives. « Vous êtes tous de grands malades. C’est génial ! » lâche-t-il.

Quelques épisodes déclenchent des ondes d’hilarité. La scène du ‘disco pénis’, quand trois jeunesses découvrent bouches bées le sexe à facettes d’un adonis. Ou encore, ce plan délicat consistant à filmer, de dos, les bourses voltigeantes d’un beau brun consentant. Et que dire de ce mâle au boule siglé Beyoncé, qui entame soudain un booty shake décomplexé ? La scène choquera certes quelques fans de la diva pop, mais restera dans les annales.

Au milieu de cette débauche, Sébastien ouvre ses grands yeux fous, lève lentement les bras, esquisse un demi sourire. Il est parfait. Mythique. Mystique. Et drôle. Notre prophète sous pépito.

On voudrait que ça ne s’arrête jamais. On se regarde avec tendresse, malgré l’épuisement qui pointe. Des figurants partent, il est déjà tard. Le cercle doit cependant rester compact : l’équipe de la prod., la styliste se joignent à nous et entrent joyeusement dans la transe. « On est content parce que ça marche, vous regarder donne vraiment envie de pénétrer ce cercle et de participer » me confie Jean, crâne rasé et yeux aciers.

Et c’est reparti ! On s’échine à faire tenir droit dans un séant un pétard géant. Une beauté asiatique joue de la flûte, avalant son instrument, charmant un garçon serpent. Une gymnaste, possiblement brésilienne*, enchaîne les sauts et grands écarts sans effort apparent. En off ça papote, en anglais, en russe, en français bien sûr aussi. La foule est aussi atypique que cosmopolite. Dans un coin, Jean étrangle ma sœur grimaçante, avant de la soulever pour l’enlacer. L’amour et la violence. La vie. Cochon Ville.

Tout le monde joue le jeu, à une exception près : le flamand rose. Son rôle n’est pourtant pas compliqué : il doit prendre son envol sous la robe de Sébastien, juste avant qu’il ne décharge des centaines de confettis dorés (Tellier, pas le flamand). Rien à faire, on a beau l’encourager, il renâcle de ses petites pattes dans tous les sens agitées. Heureusement, un joli perroquet bleu accepte de le doubler, dans un final magistral. Un œil attentif repérera, à ce moment du clip, le flamand qui se dandine dans son coin, tout à droite, l’air de rien. Penaud certes, mais présent quand même à la fête.

On est crevé. On transpire, on tremble, on a froid, on a faim, on se jette comme des animaux sur les sandwichs et boissons qui nous sont apportés. Exténués mais toujours joyeux, à poil, seins et pénis révélés, dans un bordel splendide et libertaire.

Une voix exprime tout haut le sentiment général : « Ca va être dur de se quitter, de revenir à la réalité. De voir, dans le métro, tous ces gens… habillés ! » On rigole de nos dernières forces, avant de reprendre la transe orgiesque, transcendant l’épuisement. Il faut encore laisser la caméra faire quelques tours, pour filmer Sébastien, les musiciens, nos bonds, bras en l’air et en délire. Alors on continue à sauter, à crier. Quitte à se briser. Jusqu’au dernier souffle. A 1 h du matin, la dernière prise collective s’achève dans un tonnerre d’applaudissements. Alex nous libère, et reste avec l’increvable Sébastien pour les derniers gros plans du visage extatique du maître.

On se rhabille dans les loges, on essuie les restes de maquillage, on s’emmêle dans nos tenues couvrantes, trop couvrantes, auxquelles il faut pourtant bien se réhabituer.

On s’embrasse dans la cohue, on échange rapidement nos prénoms – on se retrouvera sur Facebook, évidemment. Et on se sépare aux portes du studio, épuisé, vidé, assommé. Mais la tête pleine d’étoiles bleues. Et sûr d’avoir trouvé notre Dieu.

(NB : Le clip sera mis en ligne dés le vendredi suivant, sur Viméo)

*Après vérification auprès de l »intéressée, j’apprendrais qu’elle est Espagnole